PERSONNALITÉS PARANOÏAQUES EN HOMÉOPATHIE
L'angoisse profonde d'un Lycopodium, coincé dans la misère
de sa pathologie ou celle d'un Arsenicum Album, problématique
dans sa demande manifestée autant que dans sa demande cachée,
témoigne déjà, dans la Matière médicale homéopathique, de ceux
qui avec bien des nuances — individualisation oblige — peuvent
être qualifiés de personnalités paranoïaques.
D'autres
peuvent être évoqués, ici, qui comme Sulfur ou Aurum,
présentent des traits paranoïaques, ou encore Platina, qui
manifeste des aspects, presque des allures pourrait-on dire,
paranoïaques. Il semble que l'on ne puisse pourtant parler
pour eux de personnalités paranoïaques.
De la même
façon peut être relevé chez Silicea et chez Pulsatilla un
aspect sensitif évoquant les délires décrits par Kretschmer ou
chez Calcarea Carbonica et Lachesis, des comportements
paranoïaques, mais cela ne peut se voir, il est vrai que dans
des conditions particulières.
Ces délires de Kretschmer
surviennent la plupart du temps chez des sujets timides et
sensibles. Ceux-ci sont capables de retenir des expériences
vécues comme pénibles jusqu'à la réaction délirante, brutale,
persécutoire. Cette dernière constitue une forme de
compensation mégalomaniaque et paranoïaque à une
infériorisation affective ou sociale trop prolongée.
Lycopodium
La lecture des
différentes Matières médicales est tout à fait révélatrice de
la personnalité paranoïaque de Lycopodium. Reprises tour à
tour, dans ce qu'elles évoquent ou ce qu'elles décrivent,
elles sont tout à fait explicites dans ce sens et précises
quant à une attitude existentielle de ce type.
«
Lycopodium est un sujet suprasensible, coléreux,
hyperesthésique. Il souffrirait dans son orgueil de sa
déchéance précoce. »
C'est un sujet vexable,
susceptible de « colères rentrées qui éclatent brusquement et
le soulagent », colères à la suite desquelles « il a des
longues phases de repli au cours desquelles il est chagrin et
bourru ».
C'est un caractère impérieux et dominateur,
souvent tyrannique, sujet à des fringales d'activité au cours
desquelles il jouerait facilement la mouche du coche, ne
supportant pas la moindre opposition et exprimant avec
véhémence les choses les plus simples. C'est un « taciturne,
aimant peu parler », possessif sous des dehors distants, mais
jaloux et exclusif dans son affectivité.
Les
descriptions plus analytiques de Lycopodium ne l'évoquent
guère différemment... C'est un sujet critique, ergoteur,
volontiers acerbe, bien souvent méfiant, que sa méfiance soit
assortie de réserve hautaine, l'amenant à se faire rejeter «
alors qu'il est avide de compréhension et d'approbation », ou
qu'elle soit l'expression d'un orgueil excessif ou d'un sens
exagéré de sa grandeur et de sa supériorité.
N'est-ce
pas là, le dessin en filigrane de ce qui a été rappelé
précédemment du paranoïaque et de ses particularités
essentielles ? Méfiance, orgueil, agressivité, surestimation
du moi... Caractères à évoquer devant l'enfant qui aime
commander mais qui laisse tomber ses copains au gré de son
humeur autant que de sa fantaisie, lorsqu'il éprouve le désir
de se retrouver seul... devant l'adolescent critique qui défie
le parent ou le maître indigne de son estime ou de son
admiration, ou encore devant l'adulte caustique capable de
démolir ses semblables par une remarque grinçante, prenant un
malin plaisir à « en démonter la bassesse ou l'inconséquence
».
C'est cet aspect paranoïaque de la personnalité de
Lycopodium qui ressort avec encore plus de vigueur de la
description qu'en fait Mourlan lorsqu'il le révèle demandant
aux autres, « admiration sans condition, amour sans
hésitation, exigeant et demandant toujours plus, absorbant
dans un courant à sens unique tout ce que les autres peuvent
apporter de dévouement et d'énergie, persuadé que cela lui est
dû, et peut-être, que les autres peuvent en être fiers »... Le
dit-il par boutade, quelque part Lycopodium en est persuadé,
et attend qu'on le lui confirme. La mégalomanie n'est pas
loin...
C'est encore cet aspect paranoïaque que Mourlan
fait ressortir un peu plus loin lorsqu'il va l'évoquer
s'entourant de gens qu'il estime inférieurs... Lycopodium en a
besoin, autant pour le conforter dans l'idée falsifiée qu'il a
de lui-même, que comme un rempart inconscient contre une
insécurité sous-jacente. Il les méprisera secrètement, bien
sûr, mais il est incapable de se passer de leur admiration et
de leur présence.
C'est ce besoin de valorisation
narcissique qui va chez Lycopodium, plus que chez tout autre,
illustrer avec clarté et évidence, les propos de Freud sur la
régression au narcissisme chez le paranoïaque. Il signale en
effet l'importance du fait que, « faute d'utiliser les
ressources de l'homosexualité inconsciente pour offrir son
amour au — comme — soi, le paranoïaque régresse au stade de
l'amour de soi »...
De la même façon, peut être évoquée
chez Lycopodium, en même temps que la tyrannie et la méfiance,
l'intolérance aux affects. De quelque manière qu'il se
comporte, Lycopodium, victime de sa faiblesse directement
proportionnelle à son atteinte hépatique et de son
intransigeance toute teintée de son insécurité fondamentale,
ne va guère manifester une sociabilité éclatante.
Ses
relations vont, en fait, être bien difficiles. Elles ne vont
pas être sans rappeler les difficultés du paranoïaque aux
prises avec son agressivité et son impossibilité à vivre ce
qui, de près ou de loin, va se situer dans l'ordre de
l'émotion. Émotion génératrice d'angoisse même si elle est de
l'ordre de la joie ou de la colère, parce que difficile à
contrôler dans ses conséquences profondes, comme si elles
mettaient le sujet en danger par rapport à lui-même. Il n'est
qu'à voir la réaction de Lycopodium devant un cadeau ou un
succès, fût-ce le sien !...
Dans cette perspective, on
peut dire que c'est son côté tyrannique, coléreux et
persifleur qui va lui valoir de vivre le rejet et la solitude
redoutés et pourtant provoqués. Ces derniers le réalisent de
toute évidence dans ce rôle qu'il recherche tant. On voit se
profiler là cette tendance à se croire persécuté. Ce rôle de
victime est-il recherché dans une sorte de répétition d'un
vécu précédent, ou est-il peut-être aussi une manière de se
dédouaner d'une formidable agressivité en la projetant sur
l'autre ? Voici là, une question qu'il serait peut-être
intéressant de creuser !
C'est aussi son intransigeance
rancunière et son égocentrisme qui ne sont pas sans rappeler
ceux du paranoïaque, qui vont poser problème à tous les stades
de sa vie. Qu'il s'exprime par la voix de l'enfant tyrannique,
de l'adolescent ergoteur et critique, ou de l'adulte anxieux
et nosophobe, se retrouve là l'investissement du corps sur le
mode hypocondriaque annoncé précédemment; Lycopodium est tout
entier centré sur lui-même.
Incapable de supporter la
présence de ceux qu'il considère comme « ses objets », il va
pourtant en exiger la présence et la proximité sans leur
permettre un seul manquement ou une seule dérobade qu'il va
stigmatiser ou monter en épingle. Il traduit là son angoisse
autant que son mode de défense.
C'est certes ce besoin
d'être entouré d'objets privilégiés et bien sûr rassurants qui
en révèle l'égocentrisme et l'insécurité fondamentale propres
aux personnalités paranoïaques. Mais peut tout autant être
évoqué, son besoin d'ordre. Il constitue certes un système de
défense mis en place pour se situer dans un univers lourd de
menaces, mais aussi une manière de tenter de se défendre
contre des agressions imprévisibles.
Chez lui, ce
besoin d'ordre se retrouve partout.
Dans les affects :
sa forme de rationalisme logique va lui permettre de se tenir
— et bien sûr d'être tenu — à distance, alors même qu'il n'est
—, pour reprendre les termes de Mourlan — qu'un « sensitif
sous l'aspect d'un chardon, et un sentimental,
mendiant-pudibond ».
Dans les idées aussi, avec ce goût
immodéré de la démonstration pour la démonstration, et ce côté
critique à l'affût de « principes vidés de sens dont il ne
peut que s'amuser à souligner l'absurdité ». Manière
inconsciente de révéler de quelle souffrance ont été jalonnées
l'éducation et la petite enfance de Lycopodium, par quels
principes ou pour quels principes il a été inconsidérément ou
injustement agressé, et de manière souvent bien mal à propos ?
La clinique est tout à fait parlante sur ce point.
Besoin d'ordre autour de lui : au fur et à mesure que
diminuent ses capacités, s'accroît l'intérêt pour des détails
insignifiants.
Besoin d'ordre dans des idéaux : son
sens excessif du juste va souvent l'amener à poursuivre
l'autre dans tous ses manquements et ses insuffisances. Sa
sécurité n'en dépend-elle pas quelque part ? Cela n'est- il
pas peut-être aussi, une sorte de revanche contre un préjudice
ancien inconscient, mal défini dans ses contours et dans son
origine ? Cela n'expliquerait-il pas le paradoxe entre ce
besoin de rationalisation, d'ordre et de justice et cette
propension à tourner en dérision l'écart entre tout ce qui est
dit et ce qui est fait, ce qui est posé et ce qui est ? Comme
si, en quelque sorte pour Lycopodium, son existence en
dépendait ! Mais cela n'est au fond, peut-être pas loin d'une
certaine réalité...
Comme dans toute personnalité
paranoïaque va se retrouver aussi chez lui la recherche de la
limite, du maître à sa mesure. Maître qui, s'il est digne de
son admiration et de sa confiance, fera de lui un serviteur
digne et loyal, mais qui entraînera révolte insoumise ou
causticité mordante s'il se montre indigne... Ce dernier
pouvant aussi parfois devenir le Persécuteur digne de
Lycopodium. Maître « Signant » d'ailleurs autant que
Signifiant, la limite autant que la mesure.
Ceci n'est
pas sans rappeler à nouveau, ce moi fragile tout autant que
sur-valorisé, avec sa nécessité de repères sécurisants autant
que de limites structurantes, moi dont il est utile de définir
le mode d'édification fondamental.
Fragilité-vulnérabilité : est soulevée là la difficulté du
paranoïaque et parfois sa mobilisation protectrice face à la
psychose mortifère et destructurante. Lycopodium en révèle
dans cet aspect toute la misère et les aléas, en même temps
qu'il va en exprimer toute la violence défensive.
Il a
été évoqué tyrannique, insupportable, dominateur, difficile à
vivre. Paranoïaque, il l'est de toute évidence dans son
orgueil, son agressivité et sa méfiance, mais il ne faut pas
oublier que ce n'est là qu'une défense ou tout au moins un
masque, indispensable certes, mais révélateur, ne serait-ce
d'ailleurs que par sa composante excessive et sa démesure
parfois.
Lycopodium, sujet éminemment caché, ne se
révèle pas d'emblée au regard. Sa personnalité autant que ses
desseins n'apparaissent que rarement au grand jour. Ils
méritent quelques réflexions, par rapport à ce stratège
silencieux coutumier des actions secrètes révélées
tardivement. N'exprime-t-il pas là, en même temps que son
formidable désir de puissance, une peur phénoménale,
expression parfaite d'une personnalité bien fragile malgré
l'apparence ?
Peur de ne pas être assez fort au dernier
moment, peur d'être trahi par ses faiblesses, que ces
dernières se traduisent par sa pusillanimité, son angoisse de
rester seul, sa nosophobie, ses ratés en matière de virilité,
ses sautes d'humeur ou ses caprices révélateurs d'une
sensibilité presque efféminée.
Si Lycopodium donne — ou
essaie de donner — à l'extérieur, l'image de quelqu'un sûr de
lui et de ses idées auxquelles il s'accroche de façon souvent
obstinée, parfois ridicule dans le goût de la démonstration
pour la démonstration, il camoufle son malaise sous une
agressivité démesurée autant défensive qu'offensive. S'il joue
à plaisir le rôle de victime qui lui permettra de se conforter
dans l'image qu'il a de lui, il mesure à quel point sa
constitution est fragile. Il sait qu'il peut être trahi autant
par ses forces que par le personnage qu'il s'est créé de par
la puissance de son intelligence et sa faculté à retomber «
sur ses pattes ». Il pressent que son angoisse et son mal-être
ne sont pas loin.
C'est la raison pour laquelle,
enfant, il est amoureux de l'ordre et de ses habitudes qu'il
est préférable de ne pas bousculer et qu'adulte, il s'accroche
peu à peu à des manies et à des principes, défenses éminemment
protectrices contre le doute.
C'est là que peut être
abordé, en dehors de l'aspect descriptif du comportement
paranoïaque de Lycopodium, la fragilité de son moi, ce qui
permet de comprendre le rôle de ce dernier et le mode de
construction de son homosexualité latente.
Elle était
là en filigrane, à travers l'aspect pusillanime, capricieux,
les sautes d'humeur, l'attachement passionné au « maître »
désigné comme tel. Elle était en arrière-plan dans les manques
en matière de sexualité et dans le peu d'intérêt pour les
femmes. Les Pulsatilla l'insécurisant, les Platina l'attirant,
mais par leur côté phallique. Ne préfère-t-il pas choisir ou
être choisi par une femme objet de désir du plus grand nombre
? En fait, l'homosexualité de Lycopodium peut être en partie
assimilée à l'homosexualité du paranoïaque.
C'est
peut-être en essayant de tracer de quels parents il est
apparemment issus que l'on pourrait être le mieux éclairés sur
cette homosexualité et sur sa signification par rapport à
l'édification de son identité. Son portrait enfant est déjà
explicite.
|